Ce livre porte sur l’influence des médias dans le système de production, de circulation et de réception de l’art, ainsi que dans les dispositifs culturels de l’apprentissage, à l’intérieur et en dehors de l’école. On recherche dans le champ polysémique du flux de la vie quotidienne, l’avènement d’un réseau de connaissances attentif aux nouvelles structures informationnelles, capable d’absorber et de produire une culture tout à fait contemporaine. On part du présupposé que le regard tourné vers l’appréhension de ce paysage concourt à mieux réfléchir sur l’art et ses modalités d’organisation symbolique, et par là, à la formation de nouveaux publics éveillés à la culture.
Étant donné l’action menée par les institutions d’art dans la formation de ces publics, et l’ouverture rendue possible par la multiplicité de moyens, de formes et de lectures, les structures technologiques et médiatiques post-modernes désacralisent l’espace sacré de l’art, dans la mesure où elles ont fait appel à des opérations publicitaires et de marketing caractéristiques de la société de consommation.
Les musées, les émissions de télé, l’internet, les affiches, les galeries, les revues, les journalistes et les intermédiaires culturels – dans cet ensemble si complexe que configure la réalité quotidienne – ont engendré le besoin pour que l’éducation établisse un rapport plus étroit et plus intense avec ce paysage post-moderne, en l’incorporant au répertoire pédagogique qui lui est propre.
Table des matières:
Introduction
I - Art et jeu social II - De la distinction à l’ouverture, et vice-versa
III - Le flux de la vie quotidienne
IV - Issues contemporaines
Conclusion
Crédits des images
Bibliographie
Texte de Introduction du livre “Les médias et l’art: ouvertures contemporaines”
En proposant une analyse de l´art post-moderne, et en abordant l’espace entre la production et la réception des œuvres d’art dans l’expérience quotidienne, il nous faudra aussi bien rendre plus clairs les rapports de pouvoir et de distinction de classe au cœur de la dynamique des arts plastiques et de leurs dispositifs d’extension, de circulation et de préservation sociale, que démontrer l’influence exercée par les goûts et par les valeurs au plan individuel des divers publics concernés. Soit par des intérêts économiques, individuels ou collectifs, techniques ou esthétiques, la connaissance sur la production culturelle devient indispensable en vue d’une réflexion à mener par la société contemporaine. L’art joue un rôle fondamental dans ce contexte, d’autant plus qu’il embrasse la culture locale et mondiale, en travaillant et en stimulant un mode spécifique d’ éducation, invariablement délayée dans le quotidien des individus et des groupes. Voilà ce vers quoi il nous faut nous tourner, à savoir: ce qui survient de jour en jour.
Il devient de plus en plus important pour nous de regarder ce flux de la vie de tous les jours, celle qui passe sous notre fenêtre, les rencontres inattendues ainsi que celles manquées dans les rues, les galeries, les centres commerciaux; nous serons à même de mieux entendre, alors, comment est-elle survenue la production symbolique post-moderne, et comment s’articulent-ils leurs signes, en formant des ensembles d’expériences culturelles tellement hybrides. En disant “regarder” je ne me tiens pas qu’à l’exercice optique du corps, mais je me rapporte à un autre mode d’appréhender l’environnement qui comporte la vision du monde de chacun et de chaque structure sociale.
De même, il faut jeter notre regard vers les nouvelles alternatives que la post-modernité a offert à la division haute culture / culture populaire, à l’hyperréalité et à la culture du spectacle, agencées à la jonction art / vie établie par la société de consommation – là où la post-modernité est entendue en tant qu’un ensemble de processus en cours dans le cadre des rapports intergroupes, ancrés sur leur puissance multidisciplinaire, polysémique, hybride, chaotique et déconstrutive.1 Tous ces ingrédients sont vraiment importants pour que l’on puisse bien entendre comment la production de l’art et des médias peut-elle les faire incorporer par l’éducation, en la revitalisant et en la rendant plus proche de la dynamique sociale contemporaine.2
À l’instar de l’art, l’éducation actuelle ne doit plus être pensée selon un biais donné ni déterministe, fixe, rationnel et progressif, mais d’après les divers aspects et formes que la post-modernité se procure elle-même. Une éducation stimulée par la perception complexe du monde – y compris des villes, des gens qui se promènent dans la rue, des affiches, des livres, des annonces dans les jornaux et revues, des émissions de télé, des spectacles, des centres commerciaux, des musées et de l’école elle-même –, en gardant un rapport plus étroit et plus intense avec ce paysage, en l’incorporant au répertoire pédagogique qui lui est propre, enfin en synergie avec les médias.
L’éducation est, donc entendue ici en tant qu’un exercice quotidien continu, un trajet façonné par le vécu, et non pas seulement par l’acquisition formelle de connaissances. Paysage post-moderne.
Ainsi, l’éducation survient à chaque instant, et est partie intégrante et reflet du corps social.
Comment l’abécédaire et les autres cahiers scolaires divisent-ils l’espace avec les revues, les jeux vidéo et la télévision? Vaudrait-il mieux étudier la physique que regarder un match de foot, Shakespeare qu’un animateur de variétés à la télé? Regarder le défilé des écoles de samba que celui des mannequins de Chanel, Rambo que le Cuirassé Potemkine, Botero que Zurbarán?
Le rapport de l’éducation avec l’art est fondamental pour mieux comprendre ces questions, qui d’ailleurs ne demandent pas exactement de réponses, mais à être incorporées au répertoire des connaissances. Comme nous l’apprend Regina Machado, il nous faut chercher les questions et non pas les réponses; de par la nature des choses, au fil du temps, les questions changent. Il nous revient d’apprendre à les poser. En revanche, les réponses découleront de l’expérience particulière de chacun avec chaque chose, étant donné la riche multiplicité des signifiés. Car il ne suffit pas de “défendre l’élaboration de langages contemporains sans rendre viable en même temps les lectures contemporaines” (Zílio et al, 2001: 196).3 L’art joue un rôle décisif pour stimuler les individus et les groupes, insérés dans leurs divers contextes sociaux, à la perception de diverses lectures et à la mise en œuvre de la pensée, au sein d’un univers de plus en plus imagé, médiatique et symbolique. Un tel univers ne se présente pas, quelquefois, explicitement, parce que la perception de l’image se déplace entre le conscient e l’inconscient, l’œil et l’esprit, en tant que partie intégrante d’un ensemble complexe de sensibilités, et d’un apprentissage non-formel acquis avec l’expérience individuelle et significative de sa propre image. Au milieu de la réalité (ou de l’hyperréalité),4 l’ indivídu a du mal à raccorder ce qui est culturel, dans le sens le plus traditionnel de ce terme, à ce qui est commercial et publicitaire – ou, qui pis est, quand il essaye de distinguer et de séparer l’un de l’autre.
Peine perdue. Il n’y a plus de modèle pour établir la bonne réalité à être suivie; feu les bornes d’orientation concernant le parcours rationnel, dont le but serait celui de réussir l’encadrement “efficace” des actions du sujet au sein du corps social. “À la nouvelle inscription de la production artistique correspond un nouvel espace esthétique, là où tout peut surgir, tout peut se mettre en rapport avec tout en un jeu permanent.” (Favaretto, 1991a: 62) Et dans le mélange à peu près flou entre art et non-art, produit et non-produit, le pouvoir d’action de tous ces éléments est apparemment minimisé, passant inaperçu ou étant déconsidéré par l’éducation formelle: voilà le problème.
Le quotidien, l’éducation et la culture sont tout à fait imbriqués, mais ce rapport est communément ignoré par les systèmes stagnés d’enseignement. La séparation établie d’un point de vue “didactique” entre ces différents aspects peut cacher leurs effets sociaux. Les différences de classe, la discrimination, le préjugé et l’intolérance sont autant d’effets provoqués par la cecité envers autrui, envers la relation à la production culturelle du jour le jour, envers les chemins et les detours empruntés par tout un chacun au milieu du flux de la vie quotidienne. L’éducation n’est pas rattachée seulement à la vie, mais elle se doit d’être son miroir, à travers l’image de chaque événement, de chaque découverte; à travers une quelconque expression d’art, de musique, d’écriture, d’une affiche, voire d´un marchand ambulant. Il ne faut pas qu’elle demeure l’abécédaire, le manuel, en vue d’une “action compétente et réussie” dans la vie, tel qu’un projet technique, mais elle doit incorporer organiquement la dynamique de la vie et de la production symbolique quotidienne.
Le paysage post-moderne fournit l’ouverture et les conditions pour avoir ce regard-là. Un paysage ce n’est pas la terre devant soi, mais la vision que l’on en a, l’environnement aperçu et ressenti. L’ idée même de paysage suppose un observateur. Et ils sont nombreux les intermédiaires de ce paysage. C’est par le truchement des chercheurs, des journalistes, des agents commerciaux, des designers et des artistes que l’éducation se configure dans la structure du corps social comme étant un catalyseur de rapports, d’expériences et de contenus. Voilà le rôle des éducateurs. C’est pourquoi il va falloir prêter attention à ces agents et à ces intermédiaires culturels; à la suite d’une école moderne unidimensionnelle et disciplinaire, ils en sont devenus partie integrante, en intervenant directement dans l´éducation.
L’essor des “nouveaux intermédiaires culturels”, d’ après les mots de Bourdieu (1982), a développé l’élargissement de l’éventail des biens culturels et la rupture de quelques-unes des anciennes hiérarchies pédagogiques. Les nouveaux formateurs du goût – étant donné que celui-ci est directement relié à l’habitus5 – contribuent à créer de nouvelles conditions de production artistique et intellectuelle, puisque dans la quête incessante de nouveaux biens et d’expériences culturelles, ils transforment et multiplient les pédagogies, les différents modes d’apprentissage, à travers des complexes processus de la production de biens symboliques, tels que la diffusion et la réception de l’art par les médias. Le langage pédagogique doit considérer la réalité complexe et multiforme de la vie, qui joue avec l’inconscient et l’ensemble des schémas d’interaction façonnés dès l’enfance, aussi bien par les enseignants que par les élèves, pour être ainsi en phase avec la réalité en dehors de l’école.
Il nous faudra donc intégrer les intermédiaires culturels au “corps des enseignants”, car aujourd’hui les publicitaires, les journalistes et les conservateurs d’œuvres d’art forment, informent, discutent, divulguent et débattent des contenus auparavant restreints aux livres. La position rédemptrice de l’enseignant, en tant que seul agent détenteur du savoir, divise dorénavant l’espace avec le marketing, la télévision, les musées et l‘internet. Une telle conscience ne relève pas l’enseignant de sa fonction – ou de sa valeur –, mais au contraire l’intègre à un champ beaucoup plus vaste, l’amène à penser-ensemble et à enseigner-ensemble avec d’autres gens et d’autres expériences.6
L’usage des médias comme un “instrument d’éducation” pour atteindre un public plus élargi, et de nouveaux publics consommateurs d’art, pose d’inommbrables questions souvent associées à la configuration de la société. Dans ce sens, l’internet, par exemple, constitue pour la “société de l’information” l’un des phénomènes les plus prometteurs de la fin du XXe siècle; la numérisation de l’information a déclenché une profonde révolution dans le monde de la communication, en élargissant d’une façon extraordinaire ses réseaux. Par rapport à l’éducation, l’internet permet la livraison d’une quantité croissante d’information, dans un délai de plus en plus court, à une quantité énorme de gens (à l’instar d’une encyclopédie dynamique et organique, disponible tout le temps et partout);7 en ce qui concerne l’art, il procure au contenu culturel une diffusion de plus en plus vaste et relationnelle. C’est pourquoi il est important pour nous de repérer les mécanismes et les stratégies utilisés par les artistes et par les agents culturels en vue de la conquête d’espaces dans cette société de l’information et d’exercer notre influence sur la construction, la perception et l’évaluation de la culture. En effet, les “luttes pour le pouvoir entre les experts dans le domaine culturel et les autres groupes d’experts (dans le domaine économique, politique, administratif, ainsi que les intermédiaires culturels) influencent notre capacité de monopoliser et casser ce monopole concernant le savoir, les moyens d’orientation et les biens culturels” (Featherstone, 1995: 12). Nous nous apercevons, alors, que c´est le savoir et ses diverses formes d’apprentissage qui sont en jeu: connaissance des nouveaux biens, de leur valeur sociale et culturelle, et de la forme de les utiliser.
“L’art n’est pas qu’une question esthétique: il nous faut prendre en compte la réponse que lui sera donnée à l’intersection de ce que font les journalistes et les critiques, les historiens et les conservateurs de musée, les marchands, les collectionneurs et les spéculateurs. De même, au lieu de se tenir à une essence a priori, le populaire se définit par les stratégies instables, diversifiées, avec lesquelles les secteurs subalternes eux-mêmes construisent leurs positions, et aussi par le mode suivant lequel la culture populaire est amenée par le folkloriste et par l’anthropologue au musée ou à l’académie, par les sociologues et par les politiques aux partis, par les experts en communication aux médias.” (Canclini, 1998: 23)
L’art et sa transmission par les médias représentent, pour certains, l’occasion de diffuser la production d’une pensée – et le résultat procuré par la reconnaissance de cette visibilité se traduit par la possibilité de maintenir et de donner continuité à l’élaboration d’une telle pensée; en revanche, pour d’autres (notamment pour la classe moyenne et les “nouveaux riches”), les revues, les journaux et les émissions de télévision représentent le perfectionnement d’un modèle de transformation individuelle, la façon de gérer des propriétés et des rapports, de façonner un style de vie réalisateur.8
La culture est constituée par les pratiques collectives et individuelles, qui sont, à leur tour, constituées par elle. Compte tenu de la dynamique des expériences et des pratiques culturelles quotidiennes, il devient possible de mieux entendre le fonctionnement des voies de transmission et de circulation auprès des divers publics et des groupes sociaux, ainsi que l’action des agents et des éducateurs dans la contemporanéité. Il va falloir envisager les “artistes, les intellectuels et les partisans des canons académiques en tant qu’experts en production symbolique et analyser la relation qu’ils entretiennent avec les autres experts symboliques des médias et ceux qui se trouvent engagés dans d’autres occupations en rapport avec la culture de consommation, la culture populaire et la mode” (Featherstone, 1995: 28); et aussi vérifier la compétition entre ces experts et ceux dans le domaine économique – en rappelant que la culture demeure presque toujours reliée à l’économie9 –, et la tendance des uns et des autres à parler au nom de l’humanité.
De tels éclaircissements fournissent les conditions en vue d’une meilleure analyse culturelle, commerciale et éducationnelle de la production symbolique, d’ailleurs mise en œuvre tout au long de ce livre, et d’abord, par le truchement des questions rattachées aux stratégies de distinction sociale et à la dynamique multiculturelle de la vie quotidienne; ensuite, par le constat de la façon dont les médias ont réfléchi cette multiculturalité, en procurant une ouverture importante pour la production du savoir.
Cependant, c’est sous l’aspect marchand que nous rencontrons, d’une façon plus aisée, quelques éléments majeurs pour la transformation de la production symbolique. De plus en plus, la production artistique acquiert des caractéristiques de marchandise, et se comporte comme telle: produit fabriqué, divulgué et consommé par les médias – des anonces, des promotions – et dans les centres commerciaux. Une telle marchandise, presque déchue de sa sacralité historique, est soumise à tous les modes d’opération marchande à l’instar de ceux de n’importe quel autre produit, y compris la consommation rapide, superficielle et jetable.10 Mais aujourd’hui, l’art, beaucoup plus proche des médias – ce qui veut dire, par conséquent, des personnes – fait partie de l’univers imagé de l’ensemble social d’une façon toute autre que celle adoptée par les vieux moules classiques, parce qu’il circule maintenant d’une manière extremement déployée, et non plus restreinte aux petits groupes. Quand un tableau de Picasso est repris sur un savon, quand Monet est reproduit sur une serviette de bain, c’est bien la disparition de la protection de l’aura de l’art, qui l’avait maintenu jusqu’alors si distant du grand public. Malgré tout, c’est encore à travers l’aura – de sa haute valeur symbolique – que s’établit le lien de l’objet avec son image (celle de Picasso et de Monet, et non pas celle du premier venu). L’ancienne protection intouchable de l’aura cède la place à l’échange illimité de signifiés.
Il faudra aussi prendre en compte que du fait d’avoir accès à l’univers marchand, d’une façon beaucoup plus intense que dans l’époque des mécènes de la Renaissance, l’art ne perd pas sa qualité ni ses valeurs intrinsèques, acquises tout au long de siècles de recherches, de technique et d’histoire de l’art. Les opérations des marchands, des collectionneurs, des institutions culturelles, des écoles et des universités, ainsi que des journaux et des revues spécialisés, sont formulées dans un réseau complexe d’intérêts – qui aurait pu être appelée de “marché” – responsable du maintien de toute la structure “nécessaire” pour l’art. Cette structure, du fait qu’elle est constituée par nombre de gens, ne renferme pas une ligne maîtresse, ni un segment pur et commun, mais elle produit de formes superposées de concepts, allant de pair avec de formes superposées d’action. La post-modernité – la discussion et la quête des auteurs qui abordent ce sujet, ainsi que la recherche technique et conceptuelle sur les modes de production et d’exhibition de l’art pour les différents publics – a permis la compréhension de cette pluralité et la libération des amarres, déterminées depuis toujours par la pensée rationnelle.
“En tant que libération de toute contrainte, l’art est jeu; or, le jeu contredit le sérieux de l’agir utilitaire; toutefois, vu que la liberté est la valeur suprême, ce n’est qu’en jouant que l’on devient vraiment sérieux.” (Argan, 1998: 358)
Dans la post-modernité, il est possible d’entreprendre le dialogue organique entre éléments classiques et contemporains, sacrés et profanes, marchands et érudits. Une telle conception, sans doute, ne correspond pas aux souhaits de la haute société, avec ses stratégies et ses instruments de distinction sociale, et avec l’usage de l’art comme contenu restreint aux initiés (Bourdieu, 2003); néanmoins, rien n’échappe à la multiplicité de la vie quotidienne, des modes de production complexes et intenses, et de la diffusion des informations. Ayant perdu la force de son aura, l’art n´a pas tout à fait disparu; sa valeur possède, aujourd’hui, une autre signification, ouverte à l’ensemble complexe qui l’entoure.11 Ce n´est pas l’art qui a changé, mais la façon dont on l’envisage.
Cette post-modernité, qui remarque l’augmentation de l’importance de la culture, moyennant la saturation de signes, de messages, et l’engagement hybride des média dans la vie quotidienne, nous permet de dire que tout dans la vie sociale est devenu culturel (Jameson, 1985 & Baudrillard, 1997). Rappelons ici les propos d’Edgar Morin, qui parle de l’énergie potentielle dont l’information dispose, “immense autant pour l’action que pour la pensée” (1986: 42). C’est pourquoi il est important de mettre en question les modes de transmission et de consommation, les stratégies de l’industrie culturelle qui essayent de faire de la vie un grand spectacle, et les pratiques des experts symboliques qui rendent beaucoup plus réceptives les sensibilités des individus en vue de l’éducation et de la création d’un public de plus en plus élargi. “Ces parterres et ces publics adopteront peut-être des pratiques post-modernes et se mettront en phase avec les expériences post-modernes sous l’orientation d’éducateurs produits par des intermédiaires culturels et proches du milieu intellectuel. Cette ‘rétroaction’ pourra transformer peut-être le post-modernisme en réalité” (Featherstone, 1995: 29), au sein d’un paysage visible aux pratiques collectives.
Il faut montrer que, la culture ayant gagné une importance économique et sociale de plus en plus accrue, l’art contemporain a pu être entendu comme signe et instrument actif d’apprentissage, en stimulant aussi bien l’échange symbolique entre différents groupes et cultures, que la perception de nouveaux contenus et de nouvelles lectures de la vie sociale. À vrai dire, tout ce qui est en dehors du système de l’art peut être incorporé par lui, et dorénavant fait partie de son jeu. De cette façon, les galeries d’art, les musées et les centres culturels sont devenus importants formateurs de capitaux symboliques, alliés – par des intérêts tout à la fois les plus nobles et les plus vils – à des agents et à des médias capables de transformer significativement les sensibilités et les contenus du public à sa portée.
L’objet de ce livre, donc, propose la discussion sur les mécanismes et sur la logique de production, de circulation et de réception de l’art contemporain, à l’intérieur et en dehors du marché d’art, à l’intérieur et en dehors de l’école.
C’est pourquoi il attire attention sur les recherches concernant l’éducation et l’art contemporain, l’éducation et le champ médiatique, puisqu’elles contribuent à mieux comprendre les modes de production et de circulation des savoirs, à travers l’universalisation de l’accès à l’information, d’une réflexion plus soutenue sur l’art et ses modes d’organisation symbolique, et par conséquent, de la formation de nouveaux publics éveillés à la culture.
Pour cela, il est important de montrer comment les transformations de la technologie ont permis le surgissement d’un système d’art attentif aux nouvelles structures informationnelles, capable d’absorber et de produire une culture contemporaine pour son temps. Il va falloir aussi souligner l’action des institutions d’art concernant la formation du public, ainsi que les agissements de la haute société visant la préservation de sa position sociale, allant de pair avec l’ouverture rendue possible par la multiplicité de ressources, de formes et de lectures. Par rapport au “savoir ou à l’art, à la culture ou à l’éducation, le terme de ‘multiplicité’ ne veut pas dire d’emblée une apologie de la fragmentation; mais simple rejet d’une unité dont le but est celui de créer des dispositifs d’asservissement – narcissiques, hédonistes, commerciaux, modistes, qui choisissent la différence et la diversité individuelle, sociale et culturelle. La multiplicité met en valeur ce qui se passe ‘en travers’, par l‘association de signes hétéroclites, entraînant l’hétérogénéité en tant que rapport” (Favaretto, 1994: 100).
La contradiction est bien l’axe à ressortir – et nous le verons à chaque instant dans les questions qui traversent les chapitres de ce livre. Il va falloir assummer la tension des oppositions, la fin du rationalisme, l’érosion de la quête en vue d’un but pur et prédéterminé, parce qu’il n’y a plus de réponses toutes faites, il n’y a plus d’auteurs capables de “brosser” la réalité. Notre réalité relève de notre regard lui-même, de nos divers niveaux de perception, de notre réseau de relations partout dans le monde, de notre mode de produire et d’absorber le savoir.
Ce livre prétend aussi montrer qu’il faut repenser l’éducation en tant que système traditionnel de transmission culturelle, que cette éducation-là doit apprendre à agir directement sur le jeu contraditoire de la vie contemporaine, elle doit “rencontrer et repérer les reférences qui empêchent les gens de rester submergés dans des flots d’informations, plus ou moins éphémères, qui invahissent les espaces publics et privés, en les amenant à s’orienter vers des projets de développement individuels et collectifs. Il revient à l’éducation de fournir, d’une certaine façon, les plans d’un monde complexe et constamment agité et, en même temps, la boussole qui permette d’y naviguer” (Delors, 1999: 89).
Les informations à grands flots mises à disposition par les médias éduquent autant qu’elles deviennent source d’aliénation. Ce à quoi nous donnons le nom de “qualité” est tenu tous les jours en échec du fait qu’elle est de plus en plus relativisée; à l’instar de la couleur, elle ne peut jamais être prise isolément, elle dépend toujours de son environnement. La pédagogie et ses contenus sont semblables, par exemple, à une orange, trop claire aux côtés du rouge, et trop sombre aux côtés du jaune; il n’y a pas un élément qui soit meilleur ou pire que l´autre, mais il faudra les prendre ensemble. Il “faut préparer les enseignants pour vivre une assez longue période de transition au cours de laquelle leur métier balancera entre images et définitions contraditoires” (Perrenoud, 1993: 201). L’on remarque, sans doute, l’infléchissement de la pédagogie tournée vers l’avenir, si chère au projet moderne, ayant cru que le bien-être serait atteint moyennant une réalité linéaire et objective.
L’accent mis sur le présent par la post-modernité, les actions quotidiennes, le temps immédiat des médias, l’absorption incessante d’innombrables informations, l’harmonie des contraires, sont autant d’aspects qu’il nous faut regarder attentivement; ils sont le matériau à brosser, à sculpter et à architecturer le paysage ouvert devant nous.
Entre l’inquiétude et l’indifférence, le paysage post-moderne nous montre qu’il n’existe plus de classifications fixes de ce que nous appelons de “culture”, ”art” ou “savoir”. Sur le chemin entre la production et la réception – et leur lien avec l’art, la vie et l’éducation –, la présence des médias, étant inévitable, peut contribuer positivement pour que l’accès aux multiples informations de la contemporanéité donne plus d’ampleur aux modes de regarder et de faire la culture.
Notes:
1. Au moment où il essaye de définir le post-modernisme, Mike Featherstone fait remarquer ce problème: les différentes significations de ce terme dans chaque champ spécifique. Cependant, cette pluralité de définitions, à mon avis, ne représente pas du tout un problème: en effet, la post-modernité a autant de définitions que le nombre de ses pratiques. Toutefois, mon propos ici n’est pas celui de définir le post-modernisme, mais de rendre explicite l’enjeu de sa discussion pour la production et pour la jouissance du savoir.
2. De loin, nous connaissons les difficultés rencontrées par l’éducation pour adapter ses contenus aux pratiques de la vie de tous les jours, pour appliquer ses discours génériques à la multiplicité des cultures et des groupes contemporains. Et le champ pédagogique pâtit assez du fait d’être si inadéquat à son projet rationnel de standardisation sociale et de formation consensuelle concernant la réalité telle qu’elle est.
3. “La réflexion sur ce qu’en art peut être dénommé ‘contemporain’ ne présente pas une figure assez claire, dotée de contours pleinement definis, mais n´est qu’un champ de réalisations. En effet, il ne s’agit pas d’entendre la contemporanéité artistique et culturelle en tant qu’une époque, encore moins en tant qu’une tendance donnée, mais en tant qu’un mode (de la sensibilité, de la pensée, de l’énoncé).” (Favaretto, 1991a: 60)
4. Notion forgée par Jean Baudrillard, compte tenu de la multiplicité et de l‘intensité des images (diffusées par les médias, la technologie, les diverses voies de communication), ainsi que de l’incompatibilité entre leurs vecteurs de force, qui souvent s’annulent, en créant une dimension qui fond réalité et non-réalité.
5. Système de dispositions et de pré-dispositions acquises, de jugements de goût, entre les positions et les pratiques, les préférences manifestées, les opinions exprimées de l’individu tout au long de son histoire, utilisé par Bourdieu pour mieux comprendre le sens social, et que nous allons développer davantage ci-après (voir chapitre I).
6. Étant donné, sans doute, les différences produites par chaque formation professionnelle.
7. Il faut évidemment prendre en compte que la disponibilité à l’internet dépend de certains aspects économiques et sociaux, tels que l’accès à un micro-ordinateur, modem, au langage de l’informatique, à l’alphabétisation, etc.
8. Il est possible de remarquer cette pratique, plus explicitement, au sein de groupes tels que le Rotary Club et le Lyons Club, avec leurs dispositifs “communautaires” de distinction sociale.
9. Le marché de l’art, en particulier, est rattaché aussi bien au marché financier qu’au marché traditionnel d’œuvres rares, qui a tout à fait partie liée avec une économie subjective et spéculative. Le public, en tant que consommateur d’art – soit en achetant ou rendant visite à des fonds –, doit aussi avoir conscience de son rôle, dans la mesure où il participe de l’étape finale du processus, en choisissant ou en reniant certains travaux, et ainsi construisant le mouvement nécessaire vers le marché. Sans doute, le marché de l’art est délicat et souvent dangereux, parce qu’il crée et détruit des symboles, et façonne des dispositifs artificiels visant la consécration (salons, concours, Biennales, articles de journaux et de revues) propres au jeu économique et social.
10. L’artiste, en tant que producteur du marché des biens symboliques, doit rester vigilant à cette nouvelle forme de participer de la culture, en rajoutant à son matériau de travail la consommation, et ainsi savoir transformer sa production “originale” – personnel et inaliénable – en marchandise; avoir conscience, quand il produit, de la circulation sociale et économique de son travail, et entendre que tout cela est propre à la dynamique contemporaine.
11. “De même que la mort de Dieu n’a pas achevé avec les églises, ainsi la mort probable de l’art n’engendrera pas ‘la mort du monde de l’art’.” (Canclini, 1998: 135)
Étant donné l’action menée par les institutions d’art dans la formation de ces publics, et l’ouverture rendue possible par la multiplicité de moyens, de formes et de lectures, les structures technologiques et médiatiques post-modernes désacralisent l’espace sacré de l’art, dans la mesure où elles ont fait appel à des opérations publicitaires et de marketing caractéristiques de la société de consommation.
Les musées, les émissions de télé, l’internet, les affiches, les galeries, les revues, les journalistes et les intermédiaires culturels – dans cet ensemble si complexe que configure la réalité quotidienne – ont engendré le besoin pour que l’éducation établisse un rapport plus étroit et plus intense avec ce paysage post-moderne, en l’incorporant au répertoire pédagogique qui lui est propre.
Table des matières:
Introduction
I - Art et jeu social II - De la distinction à l’ouverture, et vice-versa
III - Le flux de la vie quotidienne
IV - Issues contemporaines
Conclusion
Crédits des images
Bibliographie
Texte de Introduction du livre “Les médias et l’art: ouvertures contemporaines”
En proposant une analyse de l´art post-moderne, et en abordant l’espace entre la production et la réception des œuvres d’art dans l’expérience quotidienne, il nous faudra aussi bien rendre plus clairs les rapports de pouvoir et de distinction de classe au cœur de la dynamique des arts plastiques et de leurs dispositifs d’extension, de circulation et de préservation sociale, que démontrer l’influence exercée par les goûts et par les valeurs au plan individuel des divers publics concernés. Soit par des intérêts économiques, individuels ou collectifs, techniques ou esthétiques, la connaissance sur la production culturelle devient indispensable en vue d’une réflexion à mener par la société contemporaine. L’art joue un rôle fondamental dans ce contexte, d’autant plus qu’il embrasse la culture locale et mondiale, en travaillant et en stimulant un mode spécifique d’ éducation, invariablement délayée dans le quotidien des individus et des groupes. Voilà ce vers quoi il nous faut nous tourner, à savoir: ce qui survient de jour en jour.
Il devient de plus en plus important pour nous de regarder ce flux de la vie de tous les jours, celle qui passe sous notre fenêtre, les rencontres inattendues ainsi que celles manquées dans les rues, les galeries, les centres commerciaux; nous serons à même de mieux entendre, alors, comment est-elle survenue la production symbolique post-moderne, et comment s’articulent-ils leurs signes, en formant des ensembles d’expériences culturelles tellement hybrides. En disant “regarder” je ne me tiens pas qu’à l’exercice optique du corps, mais je me rapporte à un autre mode d’appréhender l’environnement qui comporte la vision du monde de chacun et de chaque structure sociale.
De même, il faut jeter notre regard vers les nouvelles alternatives que la post-modernité a offert à la division haute culture / culture populaire, à l’hyperréalité et à la culture du spectacle, agencées à la jonction art / vie établie par la société de consommation – là où la post-modernité est entendue en tant qu’un ensemble de processus en cours dans le cadre des rapports intergroupes, ancrés sur leur puissance multidisciplinaire, polysémique, hybride, chaotique et déconstrutive.1 Tous ces ingrédients sont vraiment importants pour que l’on puisse bien entendre comment la production de l’art et des médias peut-elle les faire incorporer par l’éducation, en la revitalisant et en la rendant plus proche de la dynamique sociale contemporaine.2
À l’instar de l’art, l’éducation actuelle ne doit plus être pensée selon un biais donné ni déterministe, fixe, rationnel et progressif, mais d’après les divers aspects et formes que la post-modernité se procure elle-même. Une éducation stimulée par la perception complexe du monde – y compris des villes, des gens qui se promènent dans la rue, des affiches, des livres, des annonces dans les jornaux et revues, des émissions de télé, des spectacles, des centres commerciaux, des musées et de l’école elle-même –, en gardant un rapport plus étroit et plus intense avec ce paysage, en l’incorporant au répertoire pédagogique qui lui est propre, enfin en synergie avec les médias.
L’éducation est, donc entendue ici en tant qu’un exercice quotidien continu, un trajet façonné par le vécu, et non pas seulement par l’acquisition formelle de connaissances. Paysage post-moderne.
Ainsi, l’éducation survient à chaque instant, et est partie intégrante et reflet du corps social.
Comment l’abécédaire et les autres cahiers scolaires divisent-ils l’espace avec les revues, les jeux vidéo et la télévision? Vaudrait-il mieux étudier la physique que regarder un match de foot, Shakespeare qu’un animateur de variétés à la télé? Regarder le défilé des écoles de samba que celui des mannequins de Chanel, Rambo que le Cuirassé Potemkine, Botero que Zurbarán?
Le rapport de l’éducation avec l’art est fondamental pour mieux comprendre ces questions, qui d’ailleurs ne demandent pas exactement de réponses, mais à être incorporées au répertoire des connaissances. Comme nous l’apprend Regina Machado, il nous faut chercher les questions et non pas les réponses; de par la nature des choses, au fil du temps, les questions changent. Il nous revient d’apprendre à les poser. En revanche, les réponses découleront de l’expérience particulière de chacun avec chaque chose, étant donné la riche multiplicité des signifiés. Car il ne suffit pas de “défendre l’élaboration de langages contemporains sans rendre viable en même temps les lectures contemporaines” (Zílio et al, 2001: 196).3 L’art joue un rôle décisif pour stimuler les individus et les groupes, insérés dans leurs divers contextes sociaux, à la perception de diverses lectures et à la mise en œuvre de la pensée, au sein d’un univers de plus en plus imagé, médiatique et symbolique. Un tel univers ne se présente pas, quelquefois, explicitement, parce que la perception de l’image se déplace entre le conscient e l’inconscient, l’œil et l’esprit, en tant que partie intégrante d’un ensemble complexe de sensibilités, et d’un apprentissage non-formel acquis avec l’expérience individuelle et significative de sa propre image. Au milieu de la réalité (ou de l’hyperréalité),4 l’ indivídu a du mal à raccorder ce qui est culturel, dans le sens le plus traditionnel de ce terme, à ce qui est commercial et publicitaire – ou, qui pis est, quand il essaye de distinguer et de séparer l’un de l’autre.
Peine perdue. Il n’y a plus de modèle pour établir la bonne réalité à être suivie; feu les bornes d’orientation concernant le parcours rationnel, dont le but serait celui de réussir l’encadrement “efficace” des actions du sujet au sein du corps social. “À la nouvelle inscription de la production artistique correspond un nouvel espace esthétique, là où tout peut surgir, tout peut se mettre en rapport avec tout en un jeu permanent.” (Favaretto, 1991a: 62) Et dans le mélange à peu près flou entre art et non-art, produit et non-produit, le pouvoir d’action de tous ces éléments est apparemment minimisé, passant inaperçu ou étant déconsidéré par l’éducation formelle: voilà le problème.
Le quotidien, l’éducation et la culture sont tout à fait imbriqués, mais ce rapport est communément ignoré par les systèmes stagnés d’enseignement. La séparation établie d’un point de vue “didactique” entre ces différents aspects peut cacher leurs effets sociaux. Les différences de classe, la discrimination, le préjugé et l’intolérance sont autant d’effets provoqués par la cecité envers autrui, envers la relation à la production culturelle du jour le jour, envers les chemins et les detours empruntés par tout un chacun au milieu du flux de la vie quotidienne. L’éducation n’est pas rattachée seulement à la vie, mais elle se doit d’être son miroir, à travers l’image de chaque événement, de chaque découverte; à travers une quelconque expression d’art, de musique, d’écriture, d’une affiche, voire d´un marchand ambulant. Il ne faut pas qu’elle demeure l’abécédaire, le manuel, en vue d’une “action compétente et réussie” dans la vie, tel qu’un projet technique, mais elle doit incorporer organiquement la dynamique de la vie et de la production symbolique quotidienne.
Le paysage post-moderne fournit l’ouverture et les conditions pour avoir ce regard-là. Un paysage ce n’est pas la terre devant soi, mais la vision que l’on en a, l’environnement aperçu et ressenti. L’ idée même de paysage suppose un observateur. Et ils sont nombreux les intermédiaires de ce paysage. C’est par le truchement des chercheurs, des journalistes, des agents commerciaux, des designers et des artistes que l’éducation se configure dans la structure du corps social comme étant un catalyseur de rapports, d’expériences et de contenus. Voilà le rôle des éducateurs. C’est pourquoi il va falloir prêter attention à ces agents et à ces intermédiaires culturels; à la suite d’une école moderne unidimensionnelle et disciplinaire, ils en sont devenus partie integrante, en intervenant directement dans l´éducation.
L’essor des “nouveaux intermédiaires culturels”, d’ après les mots de Bourdieu (1982), a développé l’élargissement de l’éventail des biens culturels et la rupture de quelques-unes des anciennes hiérarchies pédagogiques. Les nouveaux formateurs du goût – étant donné que celui-ci est directement relié à l’habitus5 – contribuent à créer de nouvelles conditions de production artistique et intellectuelle, puisque dans la quête incessante de nouveaux biens et d’expériences culturelles, ils transforment et multiplient les pédagogies, les différents modes d’apprentissage, à travers des complexes processus de la production de biens symboliques, tels que la diffusion et la réception de l’art par les médias. Le langage pédagogique doit considérer la réalité complexe et multiforme de la vie, qui joue avec l’inconscient et l’ensemble des schémas d’interaction façonnés dès l’enfance, aussi bien par les enseignants que par les élèves, pour être ainsi en phase avec la réalité en dehors de l’école.
Il nous faudra donc intégrer les intermédiaires culturels au “corps des enseignants”, car aujourd’hui les publicitaires, les journalistes et les conservateurs d’œuvres d’art forment, informent, discutent, divulguent et débattent des contenus auparavant restreints aux livres. La position rédemptrice de l’enseignant, en tant que seul agent détenteur du savoir, divise dorénavant l’espace avec le marketing, la télévision, les musées et l‘internet. Une telle conscience ne relève pas l’enseignant de sa fonction – ou de sa valeur –, mais au contraire l’intègre à un champ beaucoup plus vaste, l’amène à penser-ensemble et à enseigner-ensemble avec d’autres gens et d’autres expériences.6
L’usage des médias comme un “instrument d’éducation” pour atteindre un public plus élargi, et de nouveaux publics consommateurs d’art, pose d’inommbrables questions souvent associées à la configuration de la société. Dans ce sens, l’internet, par exemple, constitue pour la “société de l’information” l’un des phénomènes les plus prometteurs de la fin du XXe siècle; la numérisation de l’information a déclenché une profonde révolution dans le monde de la communication, en élargissant d’une façon extraordinaire ses réseaux. Par rapport à l’éducation, l’internet permet la livraison d’une quantité croissante d’information, dans un délai de plus en plus court, à une quantité énorme de gens (à l’instar d’une encyclopédie dynamique et organique, disponible tout le temps et partout);7 en ce qui concerne l’art, il procure au contenu culturel une diffusion de plus en plus vaste et relationnelle. C’est pourquoi il est important pour nous de repérer les mécanismes et les stratégies utilisés par les artistes et par les agents culturels en vue de la conquête d’espaces dans cette société de l’information et d’exercer notre influence sur la construction, la perception et l’évaluation de la culture. En effet, les “luttes pour le pouvoir entre les experts dans le domaine culturel et les autres groupes d’experts (dans le domaine économique, politique, administratif, ainsi que les intermédiaires culturels) influencent notre capacité de monopoliser et casser ce monopole concernant le savoir, les moyens d’orientation et les biens culturels” (Featherstone, 1995: 12). Nous nous apercevons, alors, que c´est le savoir et ses diverses formes d’apprentissage qui sont en jeu: connaissance des nouveaux biens, de leur valeur sociale et culturelle, et de la forme de les utiliser.
“L’art n’est pas qu’une question esthétique: il nous faut prendre en compte la réponse que lui sera donnée à l’intersection de ce que font les journalistes et les critiques, les historiens et les conservateurs de musée, les marchands, les collectionneurs et les spéculateurs. De même, au lieu de se tenir à une essence a priori, le populaire se définit par les stratégies instables, diversifiées, avec lesquelles les secteurs subalternes eux-mêmes construisent leurs positions, et aussi par le mode suivant lequel la culture populaire est amenée par le folkloriste et par l’anthropologue au musée ou à l’académie, par les sociologues et par les politiques aux partis, par les experts en communication aux médias.” (Canclini, 1998: 23)
L’art et sa transmission par les médias représentent, pour certains, l’occasion de diffuser la production d’une pensée – et le résultat procuré par la reconnaissance de cette visibilité se traduit par la possibilité de maintenir et de donner continuité à l’élaboration d’une telle pensée; en revanche, pour d’autres (notamment pour la classe moyenne et les “nouveaux riches”), les revues, les journaux et les émissions de télévision représentent le perfectionnement d’un modèle de transformation individuelle, la façon de gérer des propriétés et des rapports, de façonner un style de vie réalisateur.8
La culture est constituée par les pratiques collectives et individuelles, qui sont, à leur tour, constituées par elle. Compte tenu de la dynamique des expériences et des pratiques culturelles quotidiennes, il devient possible de mieux entendre le fonctionnement des voies de transmission et de circulation auprès des divers publics et des groupes sociaux, ainsi que l’action des agents et des éducateurs dans la contemporanéité. Il va falloir envisager les “artistes, les intellectuels et les partisans des canons académiques en tant qu’experts en production symbolique et analyser la relation qu’ils entretiennent avec les autres experts symboliques des médias et ceux qui se trouvent engagés dans d’autres occupations en rapport avec la culture de consommation, la culture populaire et la mode” (Featherstone, 1995: 28); et aussi vérifier la compétition entre ces experts et ceux dans le domaine économique – en rappelant que la culture demeure presque toujours reliée à l’économie9 –, et la tendance des uns et des autres à parler au nom de l’humanité.
De tels éclaircissements fournissent les conditions en vue d’une meilleure analyse culturelle, commerciale et éducationnelle de la production symbolique, d’ailleurs mise en œuvre tout au long de ce livre, et d’abord, par le truchement des questions rattachées aux stratégies de distinction sociale et à la dynamique multiculturelle de la vie quotidienne; ensuite, par le constat de la façon dont les médias ont réfléchi cette multiculturalité, en procurant une ouverture importante pour la production du savoir.
Cependant, c’est sous l’aspect marchand que nous rencontrons, d’une façon plus aisée, quelques éléments majeurs pour la transformation de la production symbolique. De plus en plus, la production artistique acquiert des caractéristiques de marchandise, et se comporte comme telle: produit fabriqué, divulgué et consommé par les médias – des anonces, des promotions – et dans les centres commerciaux. Une telle marchandise, presque déchue de sa sacralité historique, est soumise à tous les modes d’opération marchande à l’instar de ceux de n’importe quel autre produit, y compris la consommation rapide, superficielle et jetable.10 Mais aujourd’hui, l’art, beaucoup plus proche des médias – ce qui veut dire, par conséquent, des personnes – fait partie de l’univers imagé de l’ensemble social d’une façon toute autre que celle adoptée par les vieux moules classiques, parce qu’il circule maintenant d’une manière extremement déployée, et non plus restreinte aux petits groupes. Quand un tableau de Picasso est repris sur un savon, quand Monet est reproduit sur une serviette de bain, c’est bien la disparition de la protection de l’aura de l’art, qui l’avait maintenu jusqu’alors si distant du grand public. Malgré tout, c’est encore à travers l’aura – de sa haute valeur symbolique – que s’établit le lien de l’objet avec son image (celle de Picasso et de Monet, et non pas celle du premier venu). L’ancienne protection intouchable de l’aura cède la place à l’échange illimité de signifiés.
Il faudra aussi prendre en compte que du fait d’avoir accès à l’univers marchand, d’une façon beaucoup plus intense que dans l’époque des mécènes de la Renaissance, l’art ne perd pas sa qualité ni ses valeurs intrinsèques, acquises tout au long de siècles de recherches, de technique et d’histoire de l’art. Les opérations des marchands, des collectionneurs, des institutions culturelles, des écoles et des universités, ainsi que des journaux et des revues spécialisés, sont formulées dans un réseau complexe d’intérêts – qui aurait pu être appelée de “marché” – responsable du maintien de toute la structure “nécessaire” pour l’art. Cette structure, du fait qu’elle est constituée par nombre de gens, ne renferme pas une ligne maîtresse, ni un segment pur et commun, mais elle produit de formes superposées de concepts, allant de pair avec de formes superposées d’action. La post-modernité – la discussion et la quête des auteurs qui abordent ce sujet, ainsi que la recherche technique et conceptuelle sur les modes de production et d’exhibition de l’art pour les différents publics – a permis la compréhension de cette pluralité et la libération des amarres, déterminées depuis toujours par la pensée rationnelle.
“En tant que libération de toute contrainte, l’art est jeu; or, le jeu contredit le sérieux de l’agir utilitaire; toutefois, vu que la liberté est la valeur suprême, ce n’est qu’en jouant que l’on devient vraiment sérieux.” (Argan, 1998: 358)
Dans la post-modernité, il est possible d’entreprendre le dialogue organique entre éléments classiques et contemporains, sacrés et profanes, marchands et érudits. Une telle conception, sans doute, ne correspond pas aux souhaits de la haute société, avec ses stratégies et ses instruments de distinction sociale, et avec l’usage de l’art comme contenu restreint aux initiés (Bourdieu, 2003); néanmoins, rien n’échappe à la multiplicité de la vie quotidienne, des modes de production complexes et intenses, et de la diffusion des informations. Ayant perdu la force de son aura, l’art n´a pas tout à fait disparu; sa valeur possède, aujourd’hui, une autre signification, ouverte à l’ensemble complexe qui l’entoure.11 Ce n´est pas l’art qui a changé, mais la façon dont on l’envisage.
Cette post-modernité, qui remarque l’augmentation de l’importance de la culture, moyennant la saturation de signes, de messages, et l’engagement hybride des média dans la vie quotidienne, nous permet de dire que tout dans la vie sociale est devenu culturel (Jameson, 1985 & Baudrillard, 1997). Rappelons ici les propos d’Edgar Morin, qui parle de l’énergie potentielle dont l’information dispose, “immense autant pour l’action que pour la pensée” (1986: 42). C’est pourquoi il est important de mettre en question les modes de transmission et de consommation, les stratégies de l’industrie culturelle qui essayent de faire de la vie un grand spectacle, et les pratiques des experts symboliques qui rendent beaucoup plus réceptives les sensibilités des individus en vue de l’éducation et de la création d’un public de plus en plus élargi. “Ces parterres et ces publics adopteront peut-être des pratiques post-modernes et se mettront en phase avec les expériences post-modernes sous l’orientation d’éducateurs produits par des intermédiaires culturels et proches du milieu intellectuel. Cette ‘rétroaction’ pourra transformer peut-être le post-modernisme en réalité” (Featherstone, 1995: 29), au sein d’un paysage visible aux pratiques collectives.
Il faut montrer que, la culture ayant gagné une importance économique et sociale de plus en plus accrue, l’art contemporain a pu être entendu comme signe et instrument actif d’apprentissage, en stimulant aussi bien l’échange symbolique entre différents groupes et cultures, que la perception de nouveaux contenus et de nouvelles lectures de la vie sociale. À vrai dire, tout ce qui est en dehors du système de l’art peut être incorporé par lui, et dorénavant fait partie de son jeu. De cette façon, les galeries d’art, les musées et les centres culturels sont devenus importants formateurs de capitaux symboliques, alliés – par des intérêts tout à la fois les plus nobles et les plus vils – à des agents et à des médias capables de transformer significativement les sensibilités et les contenus du public à sa portée.
L’objet de ce livre, donc, propose la discussion sur les mécanismes et sur la logique de production, de circulation et de réception de l’art contemporain, à l’intérieur et en dehors du marché d’art, à l’intérieur et en dehors de l’école.
C’est pourquoi il attire attention sur les recherches concernant l’éducation et l’art contemporain, l’éducation et le champ médiatique, puisqu’elles contribuent à mieux comprendre les modes de production et de circulation des savoirs, à travers l’universalisation de l’accès à l’information, d’une réflexion plus soutenue sur l’art et ses modes d’organisation symbolique, et par conséquent, de la formation de nouveaux publics éveillés à la culture.
Pour cela, il est important de montrer comment les transformations de la technologie ont permis le surgissement d’un système d’art attentif aux nouvelles structures informationnelles, capable d’absorber et de produire une culture contemporaine pour son temps. Il va falloir aussi souligner l’action des institutions d’art concernant la formation du public, ainsi que les agissements de la haute société visant la préservation de sa position sociale, allant de pair avec l’ouverture rendue possible par la multiplicité de ressources, de formes et de lectures. Par rapport au “savoir ou à l’art, à la culture ou à l’éducation, le terme de ‘multiplicité’ ne veut pas dire d’emblée une apologie de la fragmentation; mais simple rejet d’une unité dont le but est celui de créer des dispositifs d’asservissement – narcissiques, hédonistes, commerciaux, modistes, qui choisissent la différence et la diversité individuelle, sociale et culturelle. La multiplicité met en valeur ce qui se passe ‘en travers’, par l‘association de signes hétéroclites, entraînant l’hétérogénéité en tant que rapport” (Favaretto, 1994: 100).
La contradiction est bien l’axe à ressortir – et nous le verons à chaque instant dans les questions qui traversent les chapitres de ce livre. Il va falloir assummer la tension des oppositions, la fin du rationalisme, l’érosion de la quête en vue d’un but pur et prédéterminé, parce qu’il n’y a plus de réponses toutes faites, il n’y a plus d’auteurs capables de “brosser” la réalité. Notre réalité relève de notre regard lui-même, de nos divers niveaux de perception, de notre réseau de relations partout dans le monde, de notre mode de produire et d’absorber le savoir.
Ce livre prétend aussi montrer qu’il faut repenser l’éducation en tant que système traditionnel de transmission culturelle, que cette éducation-là doit apprendre à agir directement sur le jeu contraditoire de la vie contemporaine, elle doit “rencontrer et repérer les reférences qui empêchent les gens de rester submergés dans des flots d’informations, plus ou moins éphémères, qui invahissent les espaces publics et privés, en les amenant à s’orienter vers des projets de développement individuels et collectifs. Il revient à l’éducation de fournir, d’une certaine façon, les plans d’un monde complexe et constamment agité et, en même temps, la boussole qui permette d’y naviguer” (Delors, 1999: 89).
Les informations à grands flots mises à disposition par les médias éduquent autant qu’elles deviennent source d’aliénation. Ce à quoi nous donnons le nom de “qualité” est tenu tous les jours en échec du fait qu’elle est de plus en plus relativisée; à l’instar de la couleur, elle ne peut jamais être prise isolément, elle dépend toujours de son environnement. La pédagogie et ses contenus sont semblables, par exemple, à une orange, trop claire aux côtés du rouge, et trop sombre aux côtés du jaune; il n’y a pas un élément qui soit meilleur ou pire que l´autre, mais il faudra les prendre ensemble. Il “faut préparer les enseignants pour vivre une assez longue période de transition au cours de laquelle leur métier balancera entre images et définitions contraditoires” (Perrenoud, 1993: 201). L’on remarque, sans doute, l’infléchissement de la pédagogie tournée vers l’avenir, si chère au projet moderne, ayant cru que le bien-être serait atteint moyennant une réalité linéaire et objective.
L’accent mis sur le présent par la post-modernité, les actions quotidiennes, le temps immédiat des médias, l’absorption incessante d’innombrables informations, l’harmonie des contraires, sont autant d’aspects qu’il nous faut regarder attentivement; ils sont le matériau à brosser, à sculpter et à architecturer le paysage ouvert devant nous.
Entre l’inquiétude et l’indifférence, le paysage post-moderne nous montre qu’il n’existe plus de classifications fixes de ce que nous appelons de “culture”, ”art” ou “savoir”. Sur le chemin entre la production et la réception – et leur lien avec l’art, la vie et l’éducation –, la présence des médias, étant inévitable, peut contribuer positivement pour que l’accès aux multiples informations de la contemporanéité donne plus d’ampleur aux modes de regarder et de faire la culture.
Notes:
1. Au moment où il essaye de définir le post-modernisme, Mike Featherstone fait remarquer ce problème: les différentes significations de ce terme dans chaque champ spécifique. Cependant, cette pluralité de définitions, à mon avis, ne représente pas du tout un problème: en effet, la post-modernité a autant de définitions que le nombre de ses pratiques. Toutefois, mon propos ici n’est pas celui de définir le post-modernisme, mais de rendre explicite l’enjeu de sa discussion pour la production et pour la jouissance du savoir.
2. De loin, nous connaissons les difficultés rencontrées par l’éducation pour adapter ses contenus aux pratiques de la vie de tous les jours, pour appliquer ses discours génériques à la multiplicité des cultures et des groupes contemporains. Et le champ pédagogique pâtit assez du fait d’être si inadéquat à son projet rationnel de standardisation sociale et de formation consensuelle concernant la réalité telle qu’elle est.
3. “La réflexion sur ce qu’en art peut être dénommé ‘contemporain’ ne présente pas une figure assez claire, dotée de contours pleinement definis, mais n´est qu’un champ de réalisations. En effet, il ne s’agit pas d’entendre la contemporanéité artistique et culturelle en tant qu’une époque, encore moins en tant qu’une tendance donnée, mais en tant qu’un mode (de la sensibilité, de la pensée, de l’énoncé).” (Favaretto, 1991a: 60)
4. Notion forgée par Jean Baudrillard, compte tenu de la multiplicité et de l‘intensité des images (diffusées par les médias, la technologie, les diverses voies de communication), ainsi que de l’incompatibilité entre leurs vecteurs de force, qui souvent s’annulent, en créant une dimension qui fond réalité et non-réalité.
5. Système de dispositions et de pré-dispositions acquises, de jugements de goût, entre les positions et les pratiques, les préférences manifestées, les opinions exprimées de l’individu tout au long de son histoire, utilisé par Bourdieu pour mieux comprendre le sens social, et que nous allons développer davantage ci-après (voir chapitre I).
6. Étant donné, sans doute, les différences produites par chaque formation professionnelle.
7. Il faut évidemment prendre en compte que la disponibilité à l’internet dépend de certains aspects économiques et sociaux, tels que l’accès à un micro-ordinateur, modem, au langage de l’informatique, à l’alphabétisation, etc.
8. Il est possible de remarquer cette pratique, plus explicitement, au sein de groupes tels que le Rotary Club et le Lyons Club, avec leurs dispositifs “communautaires” de distinction sociale.
9. Le marché de l’art, en particulier, est rattaché aussi bien au marché financier qu’au marché traditionnel d’œuvres rares, qui a tout à fait partie liée avec une économie subjective et spéculative. Le public, en tant que consommateur d’art – soit en achetant ou rendant visite à des fonds –, doit aussi avoir conscience de son rôle, dans la mesure où il participe de l’étape finale du processus, en choisissant ou en reniant certains travaux, et ainsi construisant le mouvement nécessaire vers le marché. Sans doute, le marché de l’art est délicat et souvent dangereux, parce qu’il crée et détruit des symboles, et façonne des dispositifs artificiels visant la consécration (salons, concours, Biennales, articles de journaux et de revues) propres au jeu économique et social.
10. L’artiste, en tant que producteur du marché des biens symboliques, doit rester vigilant à cette nouvelle forme de participer de la culture, en rajoutant à son matériau de travail la consommation, et ainsi savoir transformer sa production “originale” – personnel et inaliénable – en marchandise; avoir conscience, quand il produit, de la circulation sociale et économique de son travail, et entendre que tout cela est propre à la dynamique contemporaine.
11. “De même que la mort de Dieu n’a pas achevé avec les églises, ainsi la mort probable de l’art n’engendrera pas ‘la mort du monde de l’art’.” (Canclini, 1998: 135)